Dans le storytelling et la psychologie, les personnages tombent souvent dans deux grandes catégories : ceux qui agissent à travers une persona construite et ceux qui ont intégré leur ombre. Bien que les deux puissent être fascinants à leur manière, comprendre la différence entre eux est essentiel pour créer des personnages véritablement multidimensionnels et authentiques.
Peut-être que le contraste le plus frappant entre ces deux archétypes peut être observé dans les personnages de la Bête et de Gaston dans La Belle et la Bête de Disney.
La Persona construite : Un masque pour le monde
Un personnage construit autour d’une persona est, en essence, une performance. Ces individus portent un masque qui s’aligne sur les attentes sociales, dissimulant leur véritable nature au profit de ce qui est jugé acceptable, respectable ou avantageux. La persona sert de mécanisme de survie, une identité soigneusement cultivée pour naviguer dans les paysages sociaux sans friction.
De tels personnages sont souvent :
- Motivés par la validation externe, recherchant l’approbation des figures d’autorité, des institutions ou de leurs pairs.
- Motivés par des symboles de succès, tels que la richesse, le pouvoir ou le statut, plutôt que par un épanouissement intérieur.
- Enclin à réprimer des aspects plus sombres d’eux-mêmes, ce qui conduit à des contradictions et à des insécurités cachées.
- Instables face aux crises existentielles, car leur identité est construite plutôt que profondément ancrée dans la conscience de soi.
Des exemples de personnages avec une persona dominante incluent l’exécutif d’entreprise ambitieux qui réprime ses doutes moraux pour gravir les échelons, ou le politicien charismatique qui façonne son image pour correspondre à l’opinion publique plutôt qu’à ses croyances authentiques.
Bien qu’une persona puisse être efficace pour atteindre le succès mondain, elle est souvent fragile. Plus elle est rigide et construite, plus elle devient susceptible de s’effondrer lorsqu’elle est confrontée à l’échec, à une perte personnelle profonde ou à des moments de prise de conscience personnelle profonde.
L’Ombre intégrée : Le chemin vers l’intégrité
En revanche, un personnage qui a intégré son ombre est celui qui a reconnu, affronté et embrassé ses éléments sombres et inconscients plutôt que de les réprimer. Le concept de l’ombre de Carl Jung fait référence aux aspects de soi qui restent cachés : nos peurs, nos instincts, nos désirs réprimés et des aspects de la personnalité jugés inacceptables par la société ou la morale personnelle.
Un personnage avec une ombre intégrée possède :
- Un sens profond de la conscience de soi, comprenant à la fois ses forces et ses faiblesses.
- La capacité de naviguer à la fois dans la lumière et dans l’obscurité sans être consumé par l’une ou l’autre.
- Une identité stable qui ne nécessite pas de validation externe constante.
- Une complexité qui leur permet d’être moralement nuancés, imprévisibles, mais profondément authentiques.
Ces personnages ne portent pas de masque, mais plutôt une brutalité qui les rend captivants. Ils ont traversé des épreuves qui les ont forcés à confronter leurs démons intérieurs, à les intégrer et à en sortir renforcés. Plutôt que de rejeter leurs impulsions, ils les canalisent de manière productive, transformant la colère en motivation, la peur en sagesse, et la douleur en empathie.
Un exemple primordial de cet archétype est Batman dans The Dark Knight trilogy. Bruce Wayne ne nie pas son traumatisme, sa colère ou sa soif de vengeance ; au contraire, il intègre ces émotions dans sa mission, utilisant son obscurité comme un outil pour quelque chose de plus grand que lui. Un autre exemple est Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux, qui ne se détourne pas de son passé, de ses doutes ou de ses luttes, mais les embrasse dans son chemin pour devenir roi.
Implications narratives : Persona vs Ombre intégrée
Les personnages qui dépendent uniquement d’une persona construite font souvent face à une narration de déconstruction. À un moment donné de leur voyage, leur fausse identité est brisée, les obligeant à confronter leur véritable moi. Ce moment de remise en question peut conduire à une croissance (s’ils intègrent leur ombre) ou à une destruction (s’ils refusent de l’accepter).
D’autre part, les personnages avec une ombre intégrée ont tendance à suivre un arc différent, qui met à l’épreuve leur engagement envers leur moi authentique. Ils peuvent lutter contre la tentation d’embrasser complètement l’obscurité ou être confrontés à des forces qui tentent de détruire leur intégration durement acquise. Leur voyage n’est pas tant une quête de découverte de soi au sens traditionnel, mais un cheminement pour maintenir l’équilibre et utiliser leur pouvoir de manière responsable.
Pourquoi les personnages avec une ombre intégrée résonnent davantage
Les spectateurs ont tendance à se tourner vers les personnages ayant une ombre intégrée car ils reflètent la complexité de l’expérience humaine réelle. Les gens ne sont pas unidimensionnels ; nous portons tous la lumière et l’obscurité en nous. Un personnage qui incarne cette dualité semble plus ancré, plus imprévisible et, finalement, plus captivant.
Les personnages à persona construite, bien qu’utiles dans certaines narrations, semblent souvent vides s’ils restent figés. Leur arc est généralement incomplet tant qu’ils n’intègrent pas leur ombre ou qu’ils ne succombent pas à l’effondrement de leur fausse identité.
Comparer Gaston, la persona, et la Bête, le processus d’intégration de l’ombre
Voici une liste comparant les caractéristiques de Gaston (la persona) et de la Bête (l’ombre) dans La Belle et la Bête, mettant en évidence les traits que chacun incarne et les qualités qui doivent être intégrées :
Gaston (Persona)
- Arrogant : La confiance de Gaston frôle l’arrogance, croyant être le meilleur en tout, en particulier en termes de force physique et de charme.
- Motivé par l’ego : Ses actions sont largement motivées par un désir d’être admiré et de prouver sa supériorité, surtout face à des personnages comme la Bête.
- Superficiel : Gaston se concentre sur les apparences extérieures, valorisant l’apparence et le statut plutôt que des qualités intérieures comme la gentillesse ou l’empathie.
- Agressif : Il est physiquement dominant, utilisant sa force pour intimider et manipuler ceux qui l’entourent, notamment les femmes.
- Limité d’esprit : Gaston ne peut voir au-delà de ses propres vues et ne parvient pas à apprécier la beauté des autres qui ne correspondent pas à son image idéale et étroite.
- Conformiste social : Il adhère aux idéaux masculins traditionnels, cherchant la validation par l’approbation sociale et la popularité.
- Manipulation par le charme : Gaston utilise le charme et les flatteries pour obtenir ce qu’il veut, mais toujours dans un but égoïste.
La Bête (Ombre)
- Profondeur émotionnelle : La Bête incarne les émotions brutes et incontrôlées, en particulier la colère, la frustration et la douleur liées à son passé.
- Isolement : Il vit en exil volontaire, loin de la société, craignant le rejet et l’abandon à cause de son apparence monstrueuse.
- Vulnérabilité : Sous son extérieur, la Bête lutte contre des sentiments d’insécurité et de dévalorisation, ce qui le pousse à réagir de manière agressive.
- Impulsions incontrôlées : Son tempérament et ses réactions violentes révèlent un conflit intérieur, où ses impulsions dominent la pensée rationnelle.
- Haine de soi : La Bête est consumée par le regret et la haine de soi en raison de ses actions passées et de la malédiction qui pèse sur lui.
- Rejet de l’amour : Au départ, il rejette l’amour et l’affection, croyant qu’il ne mérite pas d’être aimé à cause de sa forme monstrueuse et de ses erreurs passées.
- Peur du changement : La Bête a peur de la croissance émotionnelle et de la vulnérabilité, les percevant comme des faiblesses.
Traits qui doivent être intégrés :
- Acceptation de soi : L’obsession de Gaston pour la superficialité contraste avec le besoin de guérison émotionnelle de la Bête. L’intégration nécessite de reconnaître la beauté intérieure et la valeur de soi au-delà des apparences.
- Vulnérabilité : Les deux doivent apprendre que la vulnérabilité, qu’elle soit émotionnelle ou physique, n’est pas une faiblesse mais une force qui connecte les gens de manière plus profonde.
- Humilité : L’arrogance de Gaston doit être équilibrée par la haine de soi de la Bête. Les deux doivent apprendre l’humilité : Gaston en abandonnant son égocentrisme et la Bête en apprenant à se valoriser.
- Empathie : Les deux personnages ont du mal à voir le monde au-delà de leurs propres perspectives. Gaston doit apprendre la compassion, et la Bête doit embrasser l’empathie pour les autres, pas seulement pour lui-même.
- Contrôle émotionnel : La Bête doit modérer ses tendances agressives, et Gaston doit comprendre que le contrôle de ses émotions et de ses impulsions est plus admirable que la force brute.
- Connexion aux autres : Gaston, avec son besoin de validation sociale, et la Bête, avec son isolement, doivent comprendre que la véritable connexion vient des liens émotionnels authentiques, pas du pouvoir ou du statut.
- Croissance par l’amour : Les deux personnages doivent embrasser le pouvoir transformateur de l’amour — non pas comme un moyen de possession ou de manipulation (comme Gaston le ferait), mais comme une source de croissance personnelle et de respect mutuel (comme la Bête le comprend finalement).
L’intégration de ces aspects conduirait à un soi plus équilibré et authentique, où à la fois la force de la persona et la profondeur de l’ombre peuvent coexister harmonieusement.
Conclusion
Le contraste entre un personnage qui porte une persona et un autre qui a intégré son ombre est celui entre l’illusion et l’authenticité. Le personnage guidé par la persona cherche l’approbation extérieure et le contrôle de son image, tandis que le personnage ayant intégré son ombre embrasse toute la gamme de son être, ce qui le rend plus résilient et plus accessible.
Pour les écrivains, comprendre cette distinction est essentiel pour créer des récits qui se sentent réels, nuancés et profondément humains. Les personnages les plus captivants ne sont pas ceux qui se contentent de se conformer aux attentes sociales ou de maintenir un masque, mais ceux qui ont traversé leurs propres ténèbres et en sont ressortis entiers.
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