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Burning : Le pouvoir de façonner la réalité

Burning, réalisé par Lee Chang-Dong et avec Ah-In Yoo et Steven Yeun, est un film coréen qui se distingue comme l’un des meilleurs que j’ai vus depuis des décennies. Son histoire se déroule de manière mystérieuse et cryptique, tissant une double narration qui captive le public.

Pour des raisons évidentes, j’ai pu relier les points plus précisément après avoir analysé The Talented Mr. Ripley, un film qui, dans son essence, partage de fortes similitudes. Les deux sont des thrillers psychologiques abordant les disparités sociales, mais de manière très différente.

Dans cet article, je m’attarderai sur les significations profondes probables du film et j’examinerai pourquoi ses thèmes sont si profonds et captivants.

L’intrigue

Burning (2018), réalisé par Lee Chang-dong, suit Jong-su, un écrivain en herbe qui retrouve Hae-mi, une connaissance d’enfance. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant qu’elle voyage en Afrique. À son retour, elle lui présente Ben, un homme riche et énigmatique.

Jong-su devient suspicieux envers Ben, surtout après la disparition mystérieuse de Hae-mi. En enquêtant, Jong-su commence à suspecter que Ben ait pu lui faire du mal. Le film construit un climax ambigu et dérangeant, laissant le public se demander ce qui est réel et ce qui est imaginé.

Les thèmes cachés de Burning

Burning regorge de messages cachés, de symboles subtils et de significations profondes sous sa surface. Voici quelques-uns des messages cachés les plus significatifs du film :

1. Ben comme symbole de l’élite qui « brûle » les pauvres

Ben ressemble à une figure mystérieuse tel un Gatsby—riche et jeune, une combinaison rare sauf s’il est héritier ou dans l’illicite. Il décrit son travail comme « jouer », et affirme qu’il n’y a aucune distinction entre jouer et un véritable travail de nos jours. Son accent coréen inhabituel laisse entendre qu’il pourrait être né dans un autre pays.

Cela ressemble fortement à la dolce vita de Dickie dans Le Talentueux Mr. Ripley et à l’élite sociale en général. Pour des individus comme eux, il semble souvent n’y avoir aucune séparation claire entre poursuivre leur véritable passion et généré des revenus. Honnêtement, pour les classes sociales moins éduquées en économie, l’argent reste une énigme qui semble toujours être corrélée au sacrifice du temps et des aspirations personnelles.

Dans une société capitaliste, le divertissement, le luxe et les compétences idiosyncratiques génère généralement les revenus les plus élevés lorsqu’il y a un marché car plus rares, et seuls ceux qui ont le privilège d’être dans l’abondance et de poursuivre de tels plaisirs singuliers peuvent se permettre de prendre certains risques. Les personnes des classes sociales inférieures, en revanche, sont souvent forcées de prendre des chemins de carrière plus pragmatiques.

Ben dégage une nonchalance naturelle, affichant une confiance en lui sans effort, comme on le voit dans la scène où il plaisante avec sa mère au téléphone sur la supériorité de ses gènes. Il est beau, a un visage agréable et profite de sa richesse, comme en témoignent ses possessions telles que sa Porsche, son appartement à Gangnam et son goût pour la cuisine européenne. Ben voyage pour le plaisir et aime se retrouver avec son cercle social, composé de personnes issues du même milieu.

Tout comme Dickie, Ben est intrigué par les personnes des classes sociales inférieures, apparemment comme une source de divertissement. Cela pourrait provenir de son insensibilité émotionnelle, résultat d’un manque de sens profond dans sa vie—quelque chose de souvent caractéristique des héritiers riches ou des personnes qui ne rencontrent peu de difficultés dans la vie, mais seulement des plaisirs hédonistiques.

Ben est intrigué par les émotions des gens et a avoué n’avoir jamais versé une larme de sa vie. C’est un concept fascinant, car les postes de haut rang, tels que ceux de PDG, sont souvent occupés par des individus présentant des traits de psychopathie. Cela s’explique par le fait que les positions aristocratiques, en termes de possession des moyens de production, impliquent souvent l’exploitation de la main-d’œuvre ainsi que des stratégies de manipulations psychologiques des consommateurs.

Ben confesse que son « hobby » de brûler des serres pourrait symboliser son plaisir à faire disparaître les gens qu’il considère comme sans importances. Cela pourrait refléter la manière dont les riches détruisent la vie des pauvres sans encourir de conséquences, les réduisant à la servitude tout en prenant le contrôle de leurs destins au passage.

Les serres pourraient symboliser la « classe jetable », comme Hae-mi et Jong-su—marginalisés, invisibles, et constamment exploités puis jetés par la société à travers les générations. La « classe jetable » est généralement le groupe qui endure silencieusement les plus grandes difficultés pour maintenir le niveau de vie élevé des riches.

Le manque de remords de Ben et son attitude décontractée envers le « brûlage » pourraient suggérer comment la classe de élite exploite les classes inférieures et efface leurs traces de luttes, sans que personne ne remarque ni ne s’en soucie.

Ben dans Burning est une énigme—une figure de richesse, de détachement et de menace silencieuse. Ses actions suggèrent une vérité plus troublante sous son apparence polie : il joue avec les gens parce que, pour lui, ils sont jetables. Sa richesse et son privilège le placent au-delà des contraintes morales des gens ordinaires, lui permettant de traiter la vie comme un simple jeu.

Le maquillage et les accessoires féminins dans son appartement, y compris le bracelet de Michaella, suggèrent fortement que Hae-mi n’est pas la première femme qu’il a « collectionnée » avant de la faire disparaître. Ils témoignent d’un schéma répétitif—des femmes qui entrent brièvement dans sa vie, disparaissent, et ne laissent derrière elles que ces fragments oubliés. La scène de maquillage fait écho à la métaphore de la préparation des pâtes et des sacrifices.

Ben apprécie la domination de manière subtile et détachée. Il ne se met jamais en colère, il ne force rien—il séduit, déconstruit et efface. Son plaisir de brûler des serres (une métaphore probable pour le meurtre de femmes comme Hae-mi) s’effectue avec la même désinvolture que lorsqu’il cuisine des pâtes. Le plaisir qu’il tire de la destruction n’est pas empreint de passion, mais de détachement—il le fait simplement parce qu’il le peut.

Ben présente des traits évidents de psychopathie et de nihilisme, manifestés par son détachement émotionnel et sa quête incessante de plaisir. Cela engendre une forme d’amoralité et de machiavélisme. C’est pourquoi il peut être perçu comme plus qu’un simple individu—il incarne les qualités nécessaires pour exercer le pouvoir et exploiter les autres à des fins lucratives. Par exemple, il symbolise ceux qui tirent profit de la main-d’œuvre des autres ou manipulent les gens en les poussant à poursuivre de fausses solutions aux quêtes existentielles dans un but financier. La richesse de Ben, construite sur la manipulation et l’exploitation, se fait au prix de son humanité.

Jong-su, en revanche, est son exact opposé : un artiste en devenir qui n’est pas motivé par la richesse, mais qui cherche à écrire un roman pour dénoncer l’injustice. Il est accablé par ses émotions, une morale traditionnelle, l’incertitude et un sentiment d’injustice qu’il n’arrive pas à exprimer. C’est pourquoi Ben le fascine autant qu’il l’exaspère—Ben traverse la vie sans être affecté, intouchable, tandis que Jong-su peine sous le poids de l’existence.

2. Hae-mi comme un symbole de la jeunesse perdue et du désespoir économique

Hae-mi symbolise les femmes marginalisées dans une société obsédée par la beauté. Pour être remarquée et s’intégrer, elle se sent obligée de passer par des opérations de chirurgie esthétique, mais même après cela, cela ne suffit pas à lui ouvrir l’accès à un emploi qui a du sens.

Hae-mi, comme beaucoup d’autres, n’est pas né dans une position sociale élevée ni ne possède une beauté éclatante, et Jong-su lui-même l’avait dévalorisée pendant leur enfance. Elle souffre d’un manque de sens profond dans sa vie, étant obligée de choisir un travail uniquement pour survivre ou assouvir une “petite faim”.

Elle vit dans un petit appartement en ville, où elle garde un chat qu’on ne voit jamais. Cela pourrait symboliser la nature insaisissable de la vérité objective et la subjectivité de la perception. Le fait qu’elle utilise ses cartes de crédit jusqu’à leur limite pour partir en Afrique à la recherche de sens ou d’assouvir sa “Grande Faim” illustre comment, une fois que les gens assurent leur survie, ils commencent à chercher quelque chose de plus profond, comme la pyramide de Maslow suggère.

Malheureusement pour Hae-mi, son voyage en Afrique se termine par une douloureuse prise de conscience lorsqu’elle réalise que le tour n’était qu’une illusion. Au lieu de contempler le grand coucher de soleil dans le désert qu’elle avait imaginé, elle se retrouve dans un banal parking, brisant ses attentes romantiques et révélant la vérité sur la capacité du capitalisme à vendre des expériences vides comme étant porteuses de sens.

En disparaissant comme le coucher du soleil, elle espère peut-être échapper au vide cyclique de son existence, où son désir existentiel et de sens reste insatisfait dans une société dominée par le capitalisme et les expériences superficielles. Sa disparition peut être interprétée comme une forme de retraite d’un monde qui ne peut lui offrir la véritable connexion et l’épanouissement qu’elle recherche.

Hae-mi, originaire du même village que Jong-su, a dû laisser ses racines derrière elle pour chercher de meilleures opportunités en ville, au prix de l’isolement. Le fait que personne ne la cherche réellement, sauf quelqu’un de son village, renforce la perspective sombre du film sur l’invisibilité sociale.

Dans le film, en entrant dans la maison de Jong-su, Hae-mi confie qu’elle lui rappelle celle de son enfance, soulignant ainsi la similitude de leurs origines et de leurs parcours, pointant du doigt la conformité des classes non élitistes. À l’inverse, l’appartement de Ben, avec ses œuvres d’art originales, se distingue par son caractère unique mais aussi stérile. D’une certaine manière, c’est exactement ce dont Jong-su et Hae-mi ont été privés en raison de la structure sociale et des normes culturelles, tout en possédant néanmoins quelque chose que Ben n’a pas : un potentiel de sens plus profond de la vie.

3. L’impuissance de Jong-su et l’illusion de la justice

Jong-su est un étudiant diplômé intelligent avec des aspirations artistiques, mais il lui manque l’expérience de la vie réelle sur laquelle il pourrait s’appuyer pour son travail. Il est, à bien des égards, un protagoniste totalement ordinaire. Il symbolise une classe inférieure frustrée, incapable d’agir ou de réussir malgré son intelligence et sa sensibilité.

La relation de Jong-su avec ses parents est au cœur de son sentiment d’aliénation et de désillusion dans Burning. Son père est largement absent, tant physiquement qu’émotionnellement. Il a été emprisonné pour un crime commis sous l’emprise de la colère.

Le père de Jong-su représente un cas tragique de valeurs mal placées et d’opportunités manquées dans Burning. Sa fierté, reflétée par son statut de “Numéro Un” à l’école basé sur l’honneur plutôt que sur les notes, suggère une priorisation obstinée de la tradition sur l’adaptabilité, une vision du monde qui a façonné ses décisions de vie.

Au lieu d’investir dans l’immobilier à Gangnam ou des actifs spéculatifs, il a choisi de gérer une ferme, valorisant le travail tangible plutôt que la stratégie financière. Cela reflète un conflit plus profond entre l’autosuffisance traditionnelle et le pragmatisme économique moderne. Sa croyance en le travail acharné et la réelle contribution contraste avec un système qui récompense la spéculation plutôt que la production.

En fin de compte, ses choix nobles mais erronés reflètent les propres luttes de Jong-su. Tout comme son père a résisté aux exigences du capitalisme, Jong-su hésite à naviguer dans les structures de pouvoir que des figures comme la famille de Ben et son cercle manipulent avec aisance, le laissant tout aussi vulnérable.

La mère de Jong-su est parti depuis son jeune âge, vivant séparée et remariée, offrant peu de soutien malgré quelques appels téléphoniques occasionnels. Leur détachement reflète les thèmes plus larges de déconnexion, des attentes sociales et de la douleur secrète que les gens endurent sans réalisation de soi dans les classes populaires, lui offrant essentiellement un modèle de l’échec.

Dans la scène d’ouverture du film, Jong-su est audiblement présent, mais son image reste absente, laissant seulement la fumée de sa cigarette visible, comme une première indication de son invisibilité aux yeux de la société. Il apparaît ensuite travaillant temporairement comme livreur pour subvenir à ses besoins. Plus tard dans le film, lors d’un entretien pour un poste dans une plateforme logistique, les candidats sont appelés par des numéros, soulignant l’impersonnalité, le manque de sens et la déshumanisation qui caractérisent certains emplois de début de carrière.

Bien que la véritable compétence de Ben demeure incertaine, cela n’a finalement pas d’importance, car ses signes matériels de succès suffisent à faire sentir à Jong-su une inadéquation et une gêne naturelles en sa présence. C’est pourquoi Jong-su abandonne rapidement Hae-mi : il sait qu’il ne peut pas rivaliser avec le prestige et le confort que Ben lui offre, bien que Hae-mi ressente une connexion plus profonde et authentique avec lui.

Cette dynamique se retrouve dans la camionnette de Jong-su, où Hae-mi prend place côté passager à ses côtés, ainsi qu’au restaurant, où elle s’assoit près de lui et lui accorde son attention, tandis que Ben, légèrement en retrait, observe. Cependant, la situation bascule lorsqu’il s’agit de la raccompagner : Ben prend l’initiative, reléguant Jong-su à l’arrière-plan, renforçant ainsi son manque d’assertivité, d’autant plus face à la présence imposante de la Porsche.

Jong-su incarne la classe socio-économique inférieure qui ressent les chaines de l’exploitation mais n’a pas les moyens de la prouver. Cette classe aspire à une vie meilleure à travers peut-être l’utilisation de leur qualité et aspirations personnelles mais sont contrains à accepter des emplois sans raisonance personnelle, ni mobilité sociale. À la fin, son acte de violence reste ambigu : l’a-t-il commis au nom de la justice, ou était-il motivé par le ressentiment ?

4. La signification derrière “Burning”

Le titre et le thème de « Burning » ont plusieurs interprétations :

  • Conflit de classe : Les riches « brûlent » les pauvres, soit métaphoriquement (en effaçant leur existence), soit littéralement (les possibles meurtres de Ben).
  • Désir et frustration : L’obsession croissante de Jong-su et sa rage envers Ben « brûlent » en lui.
  • Transformation personnelle : Le feu comme métaphore de changement et de renouveau — Jong-su évolue d’un simple observateur à quelqu’un qui agit enfin.

L’influence de “Barn Burning” de William Faulkner

Le film fait référence à la nouvelle de Faulkner, Barn Burning, qui traite également de la lutte des classes, de la rage refoulée et de la justice. Dans l’histoire, le père d’un garçon brûle des granges pour se venger des riches propriétaires terriens.

Jong-su (un écrivain) incarne ce thème — luttant entre la retenue morale et le désir de détruire ceux qui l’oppriment.

5. L’ambiguïté de la réalité

Les inégalités sociales et les défauts inhérents du capitalisme, tels que l’exploitation, sont des sujets profondément sensibles. Un défi majeur pour aborder ces questions réside dans la conformité sociale généralisée qui décourage la reconnaissance ou la discussion ouverte de ces problèmes.

La société préfère souvent maintenir le statu quo, ce qui rend difficile pour les individus de confronter ouvertement les dures réalités de l’injustice systémique.

La peur des représailles sociales ou de l’aliénation empêche beaucoup de remettre en question ou de défier les structures de pouvoir qui perpétuent de telles inégalités. En conséquence, ces problèmes restent largement tus, bien qu’ils continuent d’affecter la vie de nombreuses personnes.

Chaque fois qu’un individu s’exprime, il est souvent rapidement étiqueté comme un plaignant ou un perdant. Cependant, il est possible qu’il ait raison, et que le système lui-même soit fondamentalement défectueux ou biaisé contre lui. Il existe en effet une fine frontière entre être contraint à la servilité et croire en la responsabilité personnelle, ainsi qu’entre exploitation, méritocratie et sacrifices temporaires.

Par exemple, Jong-su pourrait trouver un emploi, subvenir à ses besoins et peut-être même obtenir un salaire confortable, mais ce n’est pas là le cœur du problème. La véritable question réside dans la chance qu’il a, même minime, de réaliser ses aspirations profondes en tant qu’écrivain en devenir et de nourrir sa “grande faim”, ou si les circonstances sont contre lui, le contraignant à mener une existence de travail monotone et dénuée de sens.

Jong-su pourrait être un narrateur peu fiable — sa perception est façonnée par la rancune de classe et l’insécurité personnelle. Cela reflète la manière dont la société répond souvent aux griefs sociaux. Le public ne reçoit jamais de réponse définitive, renforçant le thème selon lequel la vérité est à la fois subjective et insaisissable.

Du point de vue de Jong-su, comme pour la plupart des classes non élitistes, Ben – qu’il soit héritier ou qu’il génère des revenus de manière « automatique » ou en « jouant » – demeure une énigme difficile à percer. Ces figures à la Gatsby existent bel et bien, mais leurs origines et leur fonctionnement socio-économique restent flous.

C’est comme si les élites détenaient un secret, une perception différente de la réalité, illustrée par la métaphore de la moralité de la nature que Ben explique à Jong-su. Ils semblent jouer à un jeu totalement différent de celui des classes subordonnées, enfermées dans une réalité qui les condamne à un cycle infini de servilité.

6. La scène du Pantomime

La scène du pantomime sert de métaphore poignante de la manière dont les gens cherchent souvent du sens dans la vie en fermant les yeux sur les réalités cruelles qui les entourent. Elle reflète la tendance humaine à construire des illusions, utilisant des distractions ou des poursuites superficielles pour combler le vide du néant existentiel.

Ces “placebos” offrent un sens temporaire de but, mais échouent à aborder les vérités profondes et souvent inconfortables de la vie. De cette manière, la scène explore le confort dangereux de vivre dans une fantaisie auto-créée, où le sens n’est pas recherché en confrontant la réalité, mais en l’évitant totalement.

Hae-mi et Jong-su sont finalement poussés à adopter ces tactiques trompeuses, sacrifiant leur authenticité pour satisfaire leurs désirs les plus profonds, poursuivre des aspirations illusoires et chercher l’auto-accomplissement au prix de leurs véritables identités.

7. La Métaphore du Puits

Dans Burning, Hae-mi raconte un souvenir d’enfance où elle est tombée dans un puits—une expérience terrifiante durant laquelle elle a craint d’être abandonnée à jamais. Elle affirme que Jong-su l’a trouvée et sauvée, bien qu’il n’en ait aucun souvenir.

Ce moment peut être interprété comme une métaphore de sa réalité actuelle. À l’image du pantomime qu’elle joue, Hae-mi cherche un sens à sa vie, espérant que l’amour de Jong-su puisse le lui apporter. Pourtant, il finit par la rejeter, la traitant de « prostituée » et la dévalorisant une fois de plus. Après cela, elle disparaît complètement.

Hae-mi et Jong-su ont du mal à trouver un sens dans des voies traditionnelles comme fonder une famille, se sentant déconnectés des structures sociales et piégés dans la servilité. Hae-mi cherche quelque chose de plus authentique, tandis que Jong-su est désillusionné par son environnement social. Tous deux recherchent un but au-delà des attentes sociétales, ce qui reflète les tendances réelles dans des pays comme la Corée, où le taux de natalité en déclin met en évidence la désillusion face aux difficultés économiques, valeurs traditionnelles et aux pressions sociales. Ben qui pourrait représenté l’oppression du capitalisme les séparent.

8. Les dynamiques sociales entre les classes

Cette scène est un parfait microcosme des rapports de pouvoir du film et des relations des personnages avec Hae-mi.

1. Les amis de Ben, les bras croisés, la moquant subtilement – Ils représentent la classe privilégiée et élitiste à laquelle Ben appartient. Pour eux, Hae-mi est une outsider, une personne qui manque de raffinement et de cette assurance naturelle qui caractérise leur cercle social. Sa sincérité émotionnelle et son esprit libre contrastent fortement avec leur détachement cynique. Leur langage corporel – bras croisés, sourires en coin – suggère qu’ils la perçoivent comme naïve, gênante, voire un peu ridicule.

2. L’embarras de Jong-su – Jong-su vient d’un milieu social similaire à celui de Hae-mi, mais contrairement à elle, il est très conscient du regard des autres. Il est pris entre deux mondes : il n’appartient pas au cercle privilégié de Ben, mais il peine aussi à accepter l’expression sans filtre de Hae-mi. Son malaise vient d’une honte intériorisée – il aspire à être accepté et craint que l’attitude spontanée et émotive de Hae-mi ne fasse que souligner leur différence avec les autres convives.

3. L’ennui de Ben – Ben est totalement indifférent. Il ne se moque pas d’elle, ni ne compatit. Il se contente d’observer, détaché, comme si elle offrait une performance à son seul plaisir. Il perçoit les gens comme des distractions, et lorsqu’ils cessent de l’amuser, il passe à autre chose. Son ennui à cet instant préfigure son désintérêt progressif pour Hae-mi.

Cette scène illustre à merveille le thème central du film : les dynamiques de classe, l’aliénation sociale et le contraste entre l’authenticité émotionnelle et le privilège détaché.

9. La scène du coucher de soleil

La scène où Hae-mi se déshabille et danse devant Jong-su et Ben au coucher du soleil est l’un des moments les plus visuellement marquants et symboliquement riches de Burning. Voici une analyse de ses possibles significations :

1. Un moment de pure liberté

La danse de Hae-mi se déroule sur fond de soleil couchant, symbole d’impermanence. À travers ses mouvements, elle semble totalement absorbée par l’instant, se libérant des contraintes sociales, des insécurités personnelles et des préoccupations matérielles. Elle se reconnecte à un état primitif et sans entraves—un moment où elle existe uniquement pour elle-même, et non pour les autres.

2. La “Petite Faim” vs. la “Grande Faim”

Plus tôt dans le film, Hae-mi évoque le concept de la Grande Faim—une profonde quête existentielle de sens. Sa danse peut être perçue comme une tentative d’échapper à la Petite Faim du quotidien, celle de la simple survie, pour embrasser quelque chose de plus grand. Pourtant, son audience—et en particulier Ben—ne partage pas la même intensité émotionnelle. Cette déconnexion met en lumière l’indifférence froide de ceux qui l’entourent face à son besoin de trouver un sens à sa vie.

3. Vulnérabilité et objectification

En se dénudant, Hae-mi se rend vulnérable, à la fois physiquement et émotionnellement. Elle s’expose dans toute son authenticité, mais au lieu d’être accueillie avec compréhension ou reconnaissance, elle est confrontée à la distance. Ben l’observe avec son sourire énigmatique, amusé mais impassible. Jong-su, en revanche, est visiblement mal à l’aise, tiraillé entre désir et gêne. Le contraste entre l’ouverture de Hae-mi et l’apathie des deux hommes souligne à quel point elle est seule.

4. Une préfiguration de sa disparition

Le soleil se couche pendant sa danse, et peu après, elle disparaît du récit, comme elle l’avait prédit au restaurant. La scène a des allures d’adieu—comme si Hae-mi, incapable de trouver un sens à son existence, se dissolvait dans le crépuscule, ignorée et oubliée. Ce moment préfigure subtilement son destin, rendant sa disparition d’autant plus tragique.

5. Une réflexion sur le genre et la classe sociale

Le rôle de Hae-mi dans le film peut être vu comme une métaphore de la place des femmes dans une société patriarcale et hiérarchisée. Elle tente d’affirmer son existence à travers la beauté, la sensualité et l’émotion, mais demeure invisible aux yeux des deux hommes, chacun à sa manière. Ben, figure intouchable de l’élite, la considère comme un objet jetable, tandis que Jong-su, bien que plus empathique, échoue lui aussi à vraiment la voir.

Cette scène ne se résume pas à une simple expression de sensualité—elle incarne un profond désir d’être vue, une solitude existentielle et un désespoir silencieux. Hae-mi cherche désespérément une reconnaissance authentique, mais sa danse est accueillie par l’indifférence, reflétant la manière dont la société ignore ceux qui ne rentrent pas dans ses cadres établis.

10. La Scène Finale

Les gens comme Ben ne suivent pas les règles—ils les écrivent. Il traverse la vie avec un détachement absolu, insensible aux conséquences, car le système n’est pas conçu pour contraindre des individus comme lui. Au contraire, il les récompense.

Les travailleurs des classes ouvrière et moyenne, en revanche, suivent un script qui leur promet que le travail acharné mène à la sécurité et que jouer selon les règles garantit une retraite paisible. Mais Ben dévoile le mensonge : le véritable jeu repose sur le pouvoir, la manipulation et la conscience que la morale peut-être subjective lorsque l’on possède suffisamment d’influence.

Pourquoi alors le tolèrent-ils ? Parce que reconnaître que le jeu est truqué ébranlerait toute leur vision du monde. Cela reviendrait à admettre que leurs sacrifices—des décennies de labeur, d’obéissance et de concessions—n’étaient pas des marches vers la réussite, mais des actes de servitude. Ben incarne ce qu’ils ne peuvent être : quelqu’un qui évolue en dehors du système tout en profitant de ses avantages.

Jong-su, lui, perçoit l’illusion. Et c’est précisément pour cette raison que Ben doit être confronté.

Jong-su finit par passer à l’acte, tuant Ben et le mettant en feu dans sa Porsche, qui est essentiellement le symbole de sa richesse et de son pouvoir sur lui.

Mais cet acte change-t-il réellement quelque chose ? Est-ce que cela rend Jong-su puissant, ou cela montre-t-il qu’il est devenu tout aussi destructeur, rappelant l’histoire de Cain ?

Le film laisse la question ouverte, forçant le spectateur à se demander si la vengeance mène à la justice ou si elle ne fait que perpétuer la violence, si les principes de Jong-su étaient justes, ou s’il les utilisait simplement pour expliquer ses échecs. Que cette scène soit réelle ou non, elle symbolise sa perte d’humanité aux côtés de Ben, ce qui se reflète dans l’étreinte.

Certaines théories suggèrent que la séquence finale du film fait en réalité partie du roman que Jong-su est en train d’écrire après avoir investi l’appartement de Hae-mi, comme le laisse entendre l’une des dernières scènes. À mon sens, à l’image du réalisateur Lee Chang-dong, la seule façon pour Jong-su de combattre Ben et son oppression est de la retranscrire de manière cryptique dans son écriture—transformant ainsi ses aspirations en une histoire, à la fois comme un acte de dénonciation et un moyen de reprendre le pouvoir en façonnant la réalité.

Message caché : L’inutilité de chercher des réponses

Burning évite délibérément de fournir des résolutions claires, embrassant l’ambiguïté qui reflète les complexités et les incertitudes de la vie réelle. En laissant le public sans réponses définitives, le film fait écho à la nature imprévisible et non résolue de l’existence humaine, en particulier dans un monde où des problèmes tels que la pauvreté, la lutte des classes et l’incertitude existentielle persistent.

Dans le film, les personnages luttent avec leurs désirs, leurs aspirations et leurs frustrations dans une société qui offre peu d’opportunités à ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. Le combat intérieur de Jong-su, la quête de sens de Hae-mi, et le luxe indifférent de Ben mettent en évidence les différences marquées dans leurs réalités. L’absence de « vérité » claire dans le film est un reflet de la manière dont la vie réelle fournit rarement des solutions satisfaisantes ou nettes à ces problèmes profondément enracinés. C’est un rappel que la vie ressemble souvent à une série de questions sans réponse, où les gens tentent de donner un sens à leurs circonstances mais trouvent rarement la clarté ou la justice qu’ils recherchent.

De plus, Burning pousse l’idée que la vie ne fonctionne pas selon les principes de la justice ou de la logique. La pauvreté, l’injustice sociale et le sens de l’existence peuvent souvent sembler être des luttes sans fin, influencées par des forces arbitraires comme le principe de Pareto ou tout simplement le facteur chance. L’absence de résolution dans le film ne laisse pas seulement le public dans un sentiment de malaise ; elle l’invite à confronter ces problèmes et à réfléchir aux dilemmes existentiels auxquels il fait face dans sa propre vie, faisant du film un commentaire poignant sur la condition humaine.

Conclusion

Burning explore le pouvoir, l’identité et l’invisibilité, en se demandant qui définit ce qui est réel et précieux dans une société façonnée par des dynamiques de pouvoir : ceux qui détiennent la richesse et le privilège (Ben) ou ceux qui cherchent un sens à leur vie (Jong-su et Hae-mi) ?

Ben, avec sa richesse et son indifférence, exerce son pouvoir non seulement sur le plan matériel, mais aussi psychologiquement, manipulant des personnes comme Jong-su, piégées dans des cycles de pauvreté. Sa réalité est façonnée et contrôlée, sans les contraintes auxquelles sont confrontées les personnes moins privilégiées.

En revanche, Jong-su et Hae-mi luttent contre l’invisibilité et l’incertitude existentielle, leurs vies étant modelées par les attentes sociales et les difficultés économiques. Leurs identités ne sont pas pleinement réalisées et leurs luttes restent invisibles, reflétant un problème sociétal où les marginalisés sont ignorés et les puissants sont sous les projecteurs.

Burning nous pousse à nous interroger sur qui façonne la réalité et qui est laissé à lutter dans le silence. La recherche de sens de Jong-su et Hae-mi contraste avec la capacité de Ben à façonner son monde avec privilège et apathie. Le film remet en question la nature du pouvoir et nous invite à nous demander si la véritable liberté et l’auto-définition sont possibles dans un système qui décide qui est visible et qui ne l’est pas.

Jong-su est-il simplement amer, ou confronte-t-il un problème plus profond et systémique ? L’ambiguïté du film reflète les limites de l’action individuelle face aux forces sociales plus larges, soulignant que les luttes sociales ne peuvent être facilement catégorisées ou résolues.

Finalement, la culpabilité de Jong-su dépend de l’interprétation des deux réalités possibles : soit il est véritablement prisonnier de la servilité en tentant de combattre l’oppression, soit son absence de discernement et de volonté l’empêche de se libérer, faisant de sa révolte une simple expression d’impuissance et de ressentiment.

Comme toujours, la réponse n’est peut-être pas noire ou blanche, mais plutôt la capacité à naviguer entre les deux tensions. Cependant, aucune réponse n’est donnée, car chacun doit se questionner pour déchiffrer et décider du chemin qu’il souhaite emprunter.

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Written by dudeoi

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