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Le Cercle des Poètes Disparus : Entre Conformité et Authenticité

Le Cercle des Poètes Disparus est un film que mon père possédait dans sa collection, mais je n’ai jamais ressenti l’envie de le regarder. Ce n’est que plus plus tard—après l’avoir vu dans de nombreux essais cinématographiques sur YouTube—que ma curiosité a été éveillée.

Il m’arrive parfois de regarder des anciens films, non seulement pour apprécier la photographie argentique, mais aussi pour explorer des thèmes profonds abordés à une autre époque.

J’ai été sincèrement surpris de voir à quel point ce film exprimait avec justesse des thèmes avec lesquelles je résonne profondément.

Quelques mots sur Le Cercle des Poètes Disparus

Sorti en 1989, Le Cercle des Poètes Disparus est un drame initiatique américain réalisé par Peter Weir et écrit par Tom Schulman. L’histoire se déroule en 1959 à la prestigieuse et fictive Welton Academy, et suit un professeur d’anglais — interprété par Robin Williams — qui éveille chez ses élèves une passion pour la poésie et les encourage à penser par eux-mêmes.

Les thèmes

Le Cercle des Poètes Disparus est un film profondément ancré dans l’existentialisme, explorant l’idée que pour vraiment exister, il faut se libérer des attentes extérieures.

Bien que son message soit clair et direct, l’usage de poésie et de citations poignantes apporte une profondeur supplémentaire et résonne plus intensément avec le spectateur.

La fin tragique de ceux guidés par la passion agit comme un contrepoids puissant, soulignant les risques et les sacrifices inhérents à les quêtes d’authenticité et d’intégrité morale.

1. Individualité vs. Conformisme

Au cœur du film se joue le combat entre penser par soi-même et suivre aveuglément les règles. L’Académie de Welton incarne la structure, la discipline et les attentes de la société. Le Professeur Keating, quant à lui, encourage les garçons à trouver leur propre voix — même si cela signifie aller à l’encontre de tout ce qu’on leur a enseigné.

Pour que la société et une institution comme l’école fonctionnent, la majorité des individus doivent accepter le cadre établi par ces structures. Il faut croire à l’illusion pour que le récit collectif ait un sens et permette l’harmonie.

C’est un équilibre délicat : les règles du jeu doivent être partagées par tous pour que le jeu puisse prendre place, mais il est essentiel que certaines personnes les remettent en question afin de prévenir toute dérive vers la manipulation ou le contrôle.

Cependant, le conformisme représente aussi un déni de l’individualité et de la destinée (en échange de la sécurité et d’un destin commun). Chaque être humain est façonné par une génétique, des expériences et des préférences intrinsèques uniques — ce ne sont pas des éléments malléables, mais des aspects profondément ancrés dans sa biologie et dans son histoire.

Si l’on demandait aujourd’hui aux enfants ce qu’ils rêvent de faire plus tard, beaucoup diraient probablement qu’ils veulent devenir YouTubeur. Et ce n’est pas étonnant : un YouTubeur est souvent quelqu’un qui exprime sincèrement sa passion, même s’il choisit parfois une niche spécifique en réponse à une demande ou se conforme aussi à son audience.

Cela contraste fortement avec ce que les parents envisagent généralement pour leurs enfants — des professions moins risquées mais nobles comme celle de médecin, ou toute autre voie valorisée par la société. Mais réfléchissez un instant à ce que vous ressentez quand vous allez chez le médecin. Est-ce ainsi que vous voudriez vous sentir chaque jour de votre vie ? Probablement pas.

L’enjeu n’est pas forcément de choisir quelque chose d’original ou de plaisant, mais d’être fidèle à soi-même dans ses aspirations, et de ne pas avoir peur de faire un choix singulier si cela apporte un sens profond— car c’est précisément là que se crée la valeur : dans l’innovation et l’originalité idiosyncratique, où la motivation naturelle est présente pour ne pas abandonner en cours de route.

2. Le Pouvoir de l’Art et de la Poésie

Dans le film, la poésie devient une passerelle vers l’expression de soi, la liberté émotionnelle et la vérité. Il ne s’agit pas de réciter de beaux vers, mais de ressentir quelque chose de réel et de l’utiliser pour façonner sa vie.

La poésie, comme l’art, fait remonter des vérités profondes et des émotions à la surface ; elle sert de catalyseur pour l’inspiration et transmet des messages qui brisent les filtres de l’illusion conformiste.

La poésie consiste à faire ressentir à quelqu’un la beauté et la résonance de thèmes à travers l’intuition et l’émotion, plutôt que par l’intellect. Contrairement à l’intellect, qui catégoriserait le poème dans un cadre mathématique ou scientifique, l’art et la poésie concernent les expériences que nous pouvons ressentir mais que nous ne pouvons mesurer.

I went to the woods because I wished to live deliberately, to front only the essential facts of life, and see if I could not learn what it had to teach, and not, when I came to die, discover that I had not lived. I did not wish to live what was not life, living is so dear; nor did I wish to practise resignation, unless it was quite necessary. I wanted to live deep and suck out all the marrow of life, to live so sturdily and Spartan-like as to put to rout all that was not life, to cut a broad swath and shave close, to drive life into a corner, and reduce it to its lowest terms… Henry David Thoreau

3. La Mortalité et l’Impermanence de la Vie

Carpe Diem—profite de l’instant—n’est pas simplement une invitation à vivre de manière extrême. Il s’agit de vivre consciemment, en sachant que le temps est limité. Les garçons sont encouragés à regarder les visages des anciens et à réaliser : eux aussi étaient un jour pleins d’espoir.

Je pense que c’est le plus grand mensonge que l’on nous enseigne dans la société, vivre comme si les choses n’avaient pas de fin. Tout est éphémère, nous sommes tous liés au même destin, qui est de finalement quitter cette expérience.

C’est précisément pourquoi accumuler des biens matériels et vivre dans un environnement confiné et artificiel comme si nous allions vivre éternellement est de la folie. Car la sécurité sans croissance ou difficultés tue l’âme et l’aventure même de l’existence. Même un poisson rouge, peut faire la différence et désire plus qu’une vie dans un bocal.

O me! O life!… of the questions of these recurring; of the endless trains of the faithless… of cities filled with the foolish; what good amid these, O me, O life?” “Answer. That you are here — that life exists, and identity; that the powerful play goes on and you may contribute a verse.” Walt Whitman

4. L’éducation et la Pensée Critique

Les méthodes d’enseignement non conventionnelles de Keating contrastent fortement avec le système rigide. Il veut que les élèves remettent en question, qu’ils pensent par eux-mêmes, et ne se contentent pas de réussir dans un système conçu pour les formater et écraser leur créativité.

C’est peut-être l’une des plus grandes fausses idées sur l’école : bien que les élèves apprennent à lire et à écrire, ils apprennent rarement à penser de manière indépendante — une compétence qui devrait être le but principal de l’éducation. Comme Keating, l’objectif devrait être d’allumer une étincelle, de la laisser grandir en quelque chose de singulier et d’extraordinaire.

Au lieu de cela, les écoles modernes se concentrent souvent sur l’enseignement aux enfants de se conformer aux attentes sociétales, ce qui a ses avantages, car s’intégrer dans un récit partagé est essentiel pour la socialisation. Cependant, une fois que les élèves, comme ceux du film, sont assez mûrs pour naviguer librement dans des cercles sociaux, il est temps pour eux de se libérer.

Le directeur soutenait que les étudiants étaient « trop jeunes » pour être influencés par l’idée d’embrasser leur véritable soi, de révéler leur identité authentique et leur valeur inhérente au monde. Mais en réalité, c’était le moment idéal — après l’école, il est souvent trop tard en raison des responsabilités.

Imaginez maintenant l’une des écoles les plus prestigieuses, où le meilleur élève décide de poursuivre une carrière d’acteur au lieu d’un doctorat. Du point de vue de l’institution, cela serait incroyablement perturbant pour son image — presque comme si la véritable réalisation de soi se trouvait en dehors de ses murs et de son enseignement.

C’est exactement ce qui s’est passé dans ma classe : parmi les cinq meilleurs élèves aucun n’a suivi le chemin pré-établi. Probablement parce qu’au cours de leur vie, ils ont connu suffisamment de réussites ou d’encouragements liées à leur individualité pour oser suivre leur propre chemin.

Et ce faisant, ils ont révélé une vérité plus profonde : l’école, en essence, n’a rien fourni de véritablement précieux hormis des bases et une expérience sociale. Parce que le précieux ne peut pas être enseigné de manière traditionnelle, il doit être personnellement et activement recherché et découvert. Comme M. Keating, le rôle d’un véritable enseignant n’est pas de façonner des esprits, mais d’allumer un feu qui et le laisser prendre son chemin.

5. Les Attentes Parentales vs. L’Accomplissement Personnel

L’histoire de Neil est un rappel tragique de ce qui se passe lorsque les jeunes ne sont pas autorisés à poursuivre leurs vocations. La prise de contrôle de son père représente la force oppressive des rêves non réalisés.

Le père de Neil rejette l’individualité de son fils et lui impose sa propre vision de la vie. Cela reflète une mentalité traditionaliste – qui ne reconnaît pas que le rôle de la nouvelle génération est de mettre à jour la culture en réponse à un monde qui a changé depuis leur époque. Et si la tradition conserve encore de la sagesse, c’est à la génération actuelle de sélectionner ce qui doit survivre et ce qui doit être abandonné, car ce sont eux qui doivent affronter la nouvelle version de la réalité où les anciennes manières pourraient être synonymes d’échec.

Pris au piège de ses propres insécurités, le père de Neil cherche à obtenir une validation par le succès social et contraint Neil à suivre un chemin préétabli, étouffant son individualité et son identité en chemin. C’est comme si Neil était un poisson forcé de grimper un arbre, ce n’est pas quelque chose qu’il peut faire sans ressentir une décadence intérieure.

Je crois que la vérité la plus importante réside ici : les gens ne choisissent pas ce qu’ils aiment, que ce soit en matière de goût ou de ce qui leur donne du sens et admirent. C’est une force qui échappe à leur contrôle et aucune quantité d’éducation ou de lavage de cerveau ne changera cette boussole.

6. Courage et Rébellion

Se tenir sur un bureau, déchirer des pages de manuel, raviver le Cercles des poètes disparus—ces actes symboliques de rébellion et de courage sont de petites révolutions qui disent : je ne serai pas réduit au silence.

La scène où les gens marchent et qui mène finalement à l’homogénéisation est une métaphore puissante, mettant en lumière la force de la conformité chez les humains, qui, en tant qu’animaux sociaux, sont poussés par le besoin de sécurité et d’uniformité. Tout élément disruptif est vu comme une menace à l’harmonie générale.

Pour être authentique et engagé dans sa vérité, il faut apprendre à se détacher des résultats et des attentes externes. Dire sa vérité équivaut à commencer son aventure et reprendre son destin en main — ils sont indissociables.

L’authenticité et la moralité sont également quasi indissociables, car la moralité nécessite avant tout de ne pas mentir—ni à soi-même, ni aux autres. Cela a est parfaitement illustré par le document que les membres du Cercle ont dû signer et sur lequel ils ont menti pour se protéger au détriment du professeur Keating. En montant sur cette table, ils ont, d’une certaine manière, préservé leur intégrité morale et leur relation à la vérité.

7. Les dangers de la Rébellion

Exister véritablement, c’est avoir le courage de vivre de manière authentique, d’aligner nos actions avec les vérités les plus profondes de notre âme. Cependant, cet acte de rébellion n’est pas sans risques. Comme l’illustre le film, vivre authentiquement signifie souvent défier les normes, ce qui peut entraîner un rejet par les institutions et les groupes qui dépendent de la conformité pour fonctionner.

Dans la société capitaliste moderne, la conformité joue un rôle crucial — le système nécessite une main-d’œuvre obéissante pour fonctionner harmonieusement. Tout le monde n’a pas le courage ou l’opportunité de vivre selon ses propres valeurs. Sans ce sacrifice individuel ou cette surconsommation excessive, l’État ne peut générer de revenus ni se développer.

La plupart des gens sont contraints de suivre les chemins prédéfinis qui leur sont tracés, poussés par les pressions des attentes sociales, la survie économique et la peur de l’exclusion. La tension entre la liberté individuelle et la conformité sociale est une lutte constante, et beaucoup choisiront la sécurité du familier plutôt que l’incertitude de l’expression de soi véritable.

La société repose sur la stabilité de la plupart de ses composants pour garantir la continuité — sans cela, tout risquerait d’être effacé et reconstruit à chaque décennie. C’est pourquoi l’individualisme porte en lui une certaine image d’irresponsabilité. Se rebeller devient alors à la fois un acte profondément responsable — envers soi-même et la vérité, envers ce que pouvons apporter d’authentique à la société — et une forme d’irresponsabilité aux yeux des normes sociales établies qui protège ses structures.

C’est presque ce que Nietzsche décrirait comme la morale de l’esclave : un devoir invisible de nier ses véritables désirs pour s’adapter à la masse. La seule différence dans la réalité est que les jeunes issus de milieux aisés lisent et saisissent secrètement Nietzsche, Schopenhauer ou Sartre dès l’âge de 12 ans dans leur cadre privé.

8. Les Dangers de la Conformité

C’est en réalité assez simple : si la conformité était le seul chemin, rien n’existerait — même pas dans une société conformiste. Car tout ce qui est original, tout ce qui a de la valeur, est né de quelqu’un qui a osé sortir des sentiers battus. Même les institutions qui promeuvent aujourd’hui la conformité, comme les écoles, ont été créées par des individus qui se sont rebellés contre la norme en voulant créer quelque chose de supérieur ou différent.

Je crois que pour qu’un système puisse se maintenir, une grande partie de la population doit rester conformiste. Seule une petite fraction aura la chance, le courage, les compétences ou l’envie de se rebeller et de repousser les frontières nécessaires au progrès. Peut-être que cela a toujours été le cas — une vérité intemporelle depuis l’aube de la civilisation.

L’objectif est de fournir les ressources et la force à ceux capables d’entendre — et d’oser suivre — leur voix intérieure, ce qu’ils feront de toute façon pour ne pas se trahir.

Conclusion

Tous les étudiants n’ont pas le même type de feu. Mais chaque être humain a probablement un feu — une étincelle intérieure unique, un sens de la vie, une motivation vers quelque chose qui lui semble vrai. Le problème, c’est que, chez beaucoup de personnes, ce feu n’est jamais reconnu, ou il est éteint tôt par la peur, la pression ou le conditionnement.

Certains sont naturellement plus enclins à suivre, à trouver du confort dans la structure, la tradition ou la validation externe. Et ce n’est pas nécessairement un échec — le système, aussi parfait ou imparfait soit-il, a besoin de personnes qui fonctionnent à l’intérieur pour que les choses tournent. Mais cela ne signifie pas que ces individus sont “destinés” à être conformistes — cela signifie simplement qu’ils n’ont pas eu l’opportunité, le courage ou l’espace pour explorer leur feu intérieur.

Alors peut-être que le feu est universel… mais son expression ne l’est pas. Il nécessite une combinaison de circonstances : encouragement, adversité, rébellion, et parfois même un moment de grâce. Et pour beaucoup, ce moment ne vient jamais.

La véritable tragédie, ce n’est pas que certains se conforment — c’est que beaucoup n’ont même pas la chance de choisir. Parce qu’en fin de compte, nous avons besoin des deux pour que la société existe et progresse et cela doit-être décidé par l’égalité des chances.

Une question demeure : pourquoi, malgré l’essor des ordinateurs personnels, des vastes bases de données et même de l’intelligence artificielle, le système scolaire est-il resté en grande partie inchangé ?

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Written by dudeoi

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